98- Les Chemins de Saint-Jacques.

Du pain béni pour l’œil, à l’œil.

Le clocher laïc de Méolans campe fièrement en vis-à-vis de l’église chrétienne Saint-Jacques plus discrètement implantée sur la hauteur. Et ces deux fidèles sentinelles veillent au bon repos des gens de la vallée de l’Ubaye.

Mais vise un peu ces deux en rivalité !

Aussi s’accroche obstinément sur les flancs de la vallée la chapelle discrète. Et à son pied passe l’étroite et serpentine voie de pierres en partance pour la basse Provence et les chemins espagnols.

Les chemins de Saint-Jacques en haute Provence.

Barcelonnette la provençale mérite bien son nom de petite Barcelone, ville franche reconnue en 1231 par les comtes de Provence impliqués comme un pieu fiché en terre en ces lieux frontières stratégiques. Ainsi jusqu’en 1713 Barcelonnette se nommait Barcelonne en un hommage appuyé à Raymond Béranger V, comte de Provence et fils des comtes de Catalogne et de Forcalquier.

Les armes de la ville franche, une clé.

Mais où s'en trouve la serrure ?

Ce sont les tourniquets de la basse vallée à vous faire perdre le souffle et l'haleine, aux détours. Mais ça en vaut le détour.

 Raymond Béranger V. Le fils du Père. Sa statue est érigée dans l'église Saint-Jean-de-Malte d'Aix-en-Provence. Encyclope WIKIPEDIA à l'oeil.

Le clocheton de la petite église de Méolans-Revel se couvre de bardeaux de mélèze, ce bois rouge et imputrescible des pays d’altitude qui se grise sous les rayons du soleil; comme leurs frères, les ânes provençaux et les hommes. Ce bois d’une souplesse infinie de son vivant et pétrit d’une résistance absolue dans la mort offre une caresse de bois d’un moelleux invraisemblable.

_ Je m'inscris en faux formellement, me dit l'âne Cadichon aux flancs battus par la chamade.

La chapelle de Méolans, la proche voisine en déclivité reste impeccablement peignée dans le minuscule lointain, tout là-bas en contre-bas; en bas.

 « En ce début de XIIIème siècle, un peu partout sur notre territoire national et plus particulièrement dans les Alpes se constituaient, s’affirmaient et se consolidaient les états princiers. Dans notre région, le Comté de Provence, le Comté de Savoie et le Comté de Viennois (futur Dauphiné) se livraient une bataille acharnée afin de mettre la main sur tout un ensemble de vallées (Maira, Stura, Briançonnais / Queyras, Verdon et Var…) qui échappaient dans les faits à leur pouvoir… Au Moyen-Âge central, le rattachement, la prise en main d’une région se faisaient très rarement par les armes mais par la négociation avec les pouvoirs locaux… ». Laurent SURMELY. Toute la Vallée. La vie en Ubaye. N° 74. Avril 2017.  Sabença de la VALEIA.

L'orage se déploie soudainement sur la vallée et fait vibrer de sa grosse voix les trois Séolanes, une barre rocheuse haute de 2999 mètres qui participe au verrou glaciaire et ferme de sa masse le pas de l'âne, l'entrée étroite du lieu. 

Ne reste qu’à suivre la coquille de Saint-Jacques et l'abri promis. Elle donne de la voix et nous montre la voie.

L’âne et son sot qui lui colle à la peau ! Mais c’est bien mal connaitre l’animal, placide.

 Le pas de l’Âne, ces tourniquets de pierres et de terre s’empruntaient à la vitesse de l’âne et de son bât et permettait de franchir le verrou glaciaire qui ferme le bas de la vallée et accède à son haut. L’obstacle de roche autrefois invincible sauf pour l’âne et son pas s’affadit progressivement sous les coups de boutoirs obstinés du Génie civil français et des exploitations de carrières de pierres qui rongent méticuleusement mais obstinément la montagne.

Et seul le rail infléchit son trajet et renonça définitivement à l’assaut. Néanmoins soixante années furent nécessaires à la capitulation en rase montagne. Ainsi persistent tunnels, ponts et ballasts vides, tout en nudité légèrement obscène; incompréhensibles ouvrages d'art désertés pour les gens en transhumance alpine dans les bus de la SATA. Et se forme ici une singularité qui manque cruellement de densité.

L'ancêtre des bus de la SATA.

Cependant faites le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, à pieds bien sûr, c’est ce qui fonctionne le mieux dans la région; vous n’en n’aurez aucun regret. Du moins sur cette portion, la potion est sublime. Passé le tourniquet, la voie alpine descend tranquillement vers la Provence en parallèle de la rivière Ubaye, sœurs jumelles en déclivité conjointe.

Voisins, voisines; jumelles, jumeaux; frères, frérots. Les deux du village de Saint-Vincent les forts affichent un petit air de famille indéniable. Et nous voici comme à la parade.

L'animal participe pleinement à la vie de la vallée en symbiose avec l'homme. Photographie "La Cinq ".

L’Ubayette draine la haute vallée et s’empresse de rejoindre joyeusement sa grande sœur l’Ubaye. Mais attention à ses colères, elles peuvent-être faramineuses. 

Mais déclinons gaiement en suivance de l'Ubaye !.. jusqu’à l’imposant barrage de terre et de pierres de Serre-Ponçon, qui campe massivement et sans retenue en bas, tout en bas; là où la Durance elle-même se plie à ses quatre volontés. Cependant vous n’atteindrez jamais le village d'Ubaye, enseveli irrémédiablement au siècle dernier dans le lit des eaux conjointes; sous les eaux de la goulue.

_ Père ! Garde-toi à droite; Père, garde-toi  à gauche.  

Et les arrières-avant, alors ?

Un deux en un; un pas de deux.

Deux ânes provençaux au pelage gris porteurs de la croix de Saint-André, habitants précieux du village de Méolans vous souhaiteront sans exubérance excessive le bon voyage. Ils étaient autrefois la Rolls Royce de ces contrées accidentées avec sa jumelle, la grôle marcheuse. Cependant l’animal est un flegmatique qui vous voit venir et ne donne pas spontanément sa confiance. Ici elle se mérite !

La grôle cloutée sur la porte est soigneusement célébrée dans la pierre de Guillestre et s’affirme nécessaire comme toute clé de voute…  est indispensable à l’ouvrage.

Le randonneur marche dans sa tête et porte haut le bât.

Dans ce pays de passages et de repassages au passé d’invasions intenses l'on « vousvoit » venir de loin. Dans ce monde-là, monsieur, l’on ne tutoie point l’étranger; on le regarde stoïquement s’échiner sur la pente. Mais le verre d’eau est à 3 euros cinquante et le braiement gratuit.

La Chapelle Saint-Jacques s’adosse au cimetière bien garni et côtoie quelques masures encore chancelantes.

L'habitat ancien typique de la vallée de l’Ubaye file la quenouille et la débrouille. Et vous dites que le rural râle ? Mais il est mort, mon bon monsieur. Il s’est porté pâle !

Une magie insidieuse émane de la splendeur en décrépitude et fascine discrètement le chaland de passage, un brin honteux. Tout passe et trépasse mais rien ni personne ne s’arrête vraiment ici. Aussi devient-il très difficile de rencontrer dans la région un chasseur alpin en garnison à marier aux filles du Pays.

La petite église se dévoile discrètement et les cierges de bois mort adressent une dernière prière avant le repos bien mérité.

Envie de caresses ?

Et l’homme restera seul à guetter silencieusement derrière les carreaux gris de la petite ouverture, la vie enfuie. Musée éco [hors prix d’entrée] du village de Saint-Paul sur Ubaye, l'épicentre de tous les tremblements de terre, par terre.

Le désert avance et persiste seul dans les murs les lourds galets ronds roulés pendant des générations par les eaux tumul_tueuses de la rivière, plus loin en contre bas. Etrange univers en éternel tumulte mais aux immobilités parfois surprenantes.

Persistent quelques ruches encore au garde à vous de guingois dans les prés fleuris en sommet de pente. Et voici le nectar des Rois qui transpire.

Aussi seule concurrence toujours active dans la contrée est la butinerie de fleurs qui bat son plein tout l’été, qui persiste et résiste, encore… jusqu’à l’automne ! Et le chardon bleu tressaille sous la caresse aimable animale.

Cependant le temps passe, repasse le linge et trépasse. Subsiste seule la lumière aux ensoleillements ardents. Mais gare à l’adroit ou à l’adret qui vous cuit alors comme l’œuf au sortir de la poêle brûlante. Et il n’y a guère que le cadran qui se réjouisse et s'expose en plein midi.

Les voies sont d’eau ou herbeuses et fleuries. Le village de Méolans-Revel. Les Alpes de hautes Provence.

Contre bas et contre hauts vous tordent le cou et la cheville avec en ligne de mire le clocher pointu, l'amer de pierres immuable aux contours obstinément laïcs.

La piste d'atterrissage est caillouteuse et brûlante à souhait. Et les lézards et papillons accumulent et s'accumulent. Mais que c'est beau un pays sans pesticides acides ! Nous avions oublié.

Mort à Monsanto !

Il nous empoisonne la vie !

Il veut vivre !

Elle veut vivre !

Nous voulons vivre !

Ils veulent vivre !

Je veux vivre !

Autrefois il relevait de la responsabilité des femmes et des enfants d’ôter les pierres des champs remontées pas les travaux des labours et les mouvements naturels de la terre. Alors ces pierres étaient soigneusement entassées une à une en bordure de prés et de chemins en tas où ils formaient de massifs mais splendides murets. Les plus lourds moellons restaient entassés sur place, en plein champ. Et le petit poucet retrouvait aisément son chemin ponctué tout du long par ces gigantesques mais pesants clapiers et murets. Et seul l’effort s’économisait dans ce pauvre pays pauvre. 

Les champs aux clapiers en abondance parsèment la montagne et clouent le paysage comme l’épingle (à cheveux) la voiture, l’homme ou le papillon. Mais cultivait-on de la luzerne ou des cailloux sur cette terre ? Parfois se pose la question en sol aride, à rides. Et toujours ces contrastes exacerbés de lumière, d’eau ou de verdure en affrontements constants, brutaux et secs. Et toujours la pente omniprésente et omnivore et parfois un brin carnivore. Et le vent qui courbe hommes, bêtes et arbres et la neige qui écrase… Et il n’y a plus guère aujourd’hui que l’âne qui résistait naguère et persiste encore dans la contrée, à son pas, vaguement suivi par un homme, courbé sous le bât, ici-bas dans l'En-deçà.

Mais battons le fer et non l'âne pendant qu'il est encore chaud.

Ainsi le chemin s’ouvre continument sur la lumière et vous offre généreusement son avenir.

BAYLOT Michel. Le 15 Septembre 2014.  En marche... arrière ?

L'Âne rieur du bourbonnais salue son copain provençal. Photographie prise par l'association de Randonnée de Saint-Germain des Fossés. Allier.

Bibliographie.

Laurent SURMELY. Toute la Vallée. La vie en Ubaye. N° 74. Avril 2017. Sabença de la VALEIA.

Les villages de Méolans et Revel. Unis au-delà de la pente.

Musée du Lauzet. Village du Lauzet. La basse vallée.

Musée de Saint-Paul sur Ubaye. Village de Saint-Paul. La haute vallée.

Sur la route de Saint-Jacques, le hameau de Revel expose son habitat ancien. Et les chaises-longues ont remplacé progressivement les ânes et le labeur, mais pas en totalité.

La Fresquière - Revel. 1041 mètres. Commune de Méolans-Revel. 273 habitants. Culmine au-dessus du village la tête de Louis XVI (2408 mètres), non visible sur la photographie. Collection privée de Mr Roger Brieune. La petite église de Saint-Jacques est bien visible dans le fond de la photographie.  

Petits et grands, chacun joue pleinement son rôle, dans la vallée.

… Et il y a encore des puces dans le Pays !.. En dépit des dépouillements dynamiques. Ici un bouquetin en gratte.

_ On dirait un pince-oreille !

Oui Clopî. Oui ma puce.