La leçon des Choses.

Au sortir de l'école des marins l'envolée de moineaux parsemait la ville de ses cris et de ses fulgurances étoilées. Et la dispersion des trop marinés à l'onde de chocs prévisible ébranlait le quartier qui n'en éprouvait mais et plus. Seule la dame aux caramels ouvrait grande sa porte et offrait aux envies gourmandes sa gamme de friandises à la demande. Et elle était forte et vigoureuse, la demande en ces temps juvéniles et actifs.

> Les gamins du quartier Jeanne d’Arc à Vichy. Yvan Pommaux. BD. Avant la Télé.

Les jours de grandes fortunes les moineaux venaient picorer dans la main de la marchande en tablier de tissu, bien trop tassée derrière son comptoir de bois dévernissé et lustré par tant de mains d'écoliers pas très propres. C'était du propre !

Vingt francs, voire cinquante francs pour les jours de banque cassée et l'on passait en règle étrangement pas sur la pointe des doigts à la caisse ventrue et assoiffée. Et je n'ai pas dit velue même si la pensée était là, forte et tapie dans l'obscurité prégnante de la boutique aux rares vitrines pas très propres. C'était du propre !

Ceci me rappelle le rasoir à main offert à la prof d'allemand par la bande de chenapans stupides à cervelles de moineaux que nous étions. Aussi n'en n’avions-nous pas que les cris et le plumage. Madame Demazeau, c’était son nom et son chignon avait une difficulté de taille, de poids et de poils qui justifiait pleinement l'offrande un brin cisaillante. Elle nous remercia humblement d'un hochement de tête ému bien qu'un peu sec et tranchant.

Décision fut prise ce jour de ne jamais embrasser, non pas les profs d'allemand, mais la carrière de professeur des écoles de la république. L’expérience d’un métier bien trop risqué et l’exercice d’un tempérament bien insuffisamment caramélisé me fermaient définitivement toute opportunité dans ce domaine d'excellence. Mais pour le sadisme nous n'en manquions pas, naturellement pourvus par dame nature avec ses bonbons acidulés gratuitement distribués.

Vous glosez ! fut-il affirmé un brin péremptoirement; en marge de l'exercice... par la notation professorale un brin mystérieuse

La première fois que je mis le nez, non à la fenêtre ou à la portière mais dans un dictionnaire de mots, ce fut pour m’enquérir du sens de cet hiéroglyphe mystérieux mentionné fort à propos, en rouge et en travers dans la marge de ma rédaction de français un brin exotique. Mais je fus déçu par mon nouveau savoir. Allez-rasoir…

Toutefois le choix restait difficile, le coquillage sucré à lécher jusqu'à éreintement de langue bien trop pendue, l'escargot de réglisse à étirer jusqu'à sa rupture élastique, un brin visqueuse… ou les sacro-saints caramels mous à un franc la pièce, le piège. L’hésitation n’était pas de mise en plis aux iles d’enfance et la préférence y était sans détours, directe. Le plis était pris.

Ils m'apprirent très tôt le sens du sacré; mais non, je m’égare gare, du sucré. Chacune de ces merveilles molles était enrobée d'un papier magique doux au touché et à la caresse première. Mes premiers émois sensitifs s'en trouvèrent galvanisés par toute cette tendresse moelleuse offerte pas tant que ça, petit avant-goût et prémisses des déceptions futures en partances et fuyances perpétuelles; ces fulgurances aux errances inappropriées.

Vingt francs, le risque d'erreurs était moindre; mais cinquante, tous les dérapages devenaient possibles. Dame caramel comptait alors un par un chacun de ces minuscules carrés encartés et nous rythmions du regard la chute vertigineuse de l’objet sacré et parfois aussi de la pensée arithmétique, du calcul, pour ce qu'il en restait. Le mouvement soigneux et orchestré de ces gouttes d'élixir évoquait celui du bon père Gaucher caramélisé avant la lettre. Mais nous ne lisions pas beaucoup à l'époque des caramels un peu mous que nous étions. Aussi ignorions nous tout des élixirs venteux et vultueux mais peu vertueux du bon moine trop sensible qui ne savait pas traverser entre les gouttes et les clous. Il n’avait pas bien appris sa leçon de choses de la vie et en ignorait tout de ses détours et arcanes. A trop faire de bécanes… et ça ricane sous les arcades et les prières de bien faire.

Parfois une hésitation des doigts gourds et déformés de la fontaine à caramel nous embrouillait dans le décompte sulfureux de la chute libre cependant fort régulière des pépites d'or en transit sec sur le cendrier de verre, publicitaire. Mais peut-être que ces hésitations faisaient partie intégrante de la composition diaisée de la chanson de dame caramel... ou de sa décomposition ?

Reste une chorégraphie bien orchestrée que nul ne peut désormais retrouver. Aussi la magie dispensée avec tant de soins par la miraculeuse dame à irrémédiablement disparue dans les limbes sous les coups des Cimbres et autres fringales légèrement plus barbares.

Oh oui !. nous nous vivions déjà si décalés et recalés, effacés. Cependant un bref instant, un si bref instant, nous nous vivions si pleinement riche et heureux, si rempli aux as et aux replis que les coutures mal ficelées en sautaient de partout. Mais nous sortions vigoureusement vainqueurs de l’affrontement bien qu’ébranlés par tant d’audaces et de présences à un monde soudainement aussi lumineux et vaste.  

Trop !

Aussi l'erreur n'était pas permise, jamais ! Au sortir de l'antre obscur et avant toute frénésie de déballages actifs et d’engouffrages simultanés, un brin étourdit par tant de demande et de culot, la preuve par neuf devait se poser dans un souci strident de vérification de compte qui y est… ou pas.

Et il y était toujours ! Sapristi ! Jamais il ne fut une seule erreur observée ! Jamais. Mais qu'aurions-nous fait alors ? Un demi-tour et je te rentre dedans ou une déroute honteuse avec le plaisir en berne du silence imposé et de la défaite en rase ville. La question reste posée.

Mais quel plaisir de sentir sa poche bombée à faire peur de pantalon troué aux fesses ou aux genoux mais pas aux poches; certainement pas aux poches- jamais lors d’une visite à madame caramel. Nous avions vaincu et modelé le monde à notre convenance ! Mais le risque en avalait la chandelle à la discrète lueur rapidement étouffée sous les coups incisifs du sort fait aux caramels en partance définitive vers des océans acides.

La vérification numérique s’imposait alors comme le corpus d’a priori nécessaire à celui fondateur de l’univers du discours d’Albert Jacquard, notre favori en pensée nourricière où rien, mais vraiment rien ne s’écrit en majuscules; jamais !.. et même pas les caramels mous bien trop temporaires pour obtenir le poste.

Les gamins du quartier Jeanne d’Arc à Vichy. Yvan Pommaux. Avant la télé. BD. 2002. L’école des loisirs. Paris. Archimède.

Exit irrémédiablement toutes figures d’autorité dans l’en-deçà, et même au-delà, un irrémédiablement exclu de toutes présences au monde de l'ici-bas. Mais nous ne le savions pas encore, cet enseignement subtil n’ayant pas cours dans les arrière-cours et obscurs tréfonds de classes qui ne manquaient pas d’air… ni d’estrades.

Ainsi n’était-il pas pratiqué ce genre d’enseignements à l’école des marins aux noyades et repêchages systématiques des moussaillons si peu amarinés; un monde aux bulles pétillantes un brin acide. Cependant nous étions équipés mais pas trop de bouées de survie gonflées aux graisses sucrées qui se révélèrent être dans les temps à venir des pommes d’amour, cependant très légèrement caramélisées et redondantes. Mais nous ne le savions pas.

De fait, les genoux troués ou pas n’avaient en ces temps lointains pas grandes voix aux chapitres des pensées de mesdames carmels ou laïques.

Aussi pressez-vous !.. près de chez vous.

Dame Boulange, quoique également prégnante possédait la classe en dessous. Peut-être l’effet déclassant de sa jeunesse affichée ou de l’absence d’ombres portées par des vitrines astiquées de première. Ainsi trop de lumière et de vitrines à l’air effacent les mystères et la compagnie, à cet âge. Cependant nous ne négligions pas quelques intrusions fugaces attirés par la mie de pain dont tout moineau est fort friand. Là aussi une affaire mathématique délicate à négocier où densité, poids et masse volumique (vomique), voir couleurs et odeurs jouaient à plein leurs rôles de variables conjuguées ou intriquées, mais surtout inconnues… mais nous ne maitrisions que l’écume des choses, la croute mordorée de l’affaire vite faite et emballante.

La cible en point de mire, ce pain de mie à bosses multiples, et déjà les Grands nombres, alignait sans vergogne ses bosselures offertes avec tant, autant d’impudeur que d’innocence. De fait maitrisions nous aussi peu la bosse des maths que celle de la mie. Toutefois dépasser la bosse première représentait le comble de l’extase pour les moineaux plumés et déplumés d’alors et d’ailleurs. Séquelles de cette époque révolue un brin cabossée, la propension systémique à confondre le dromadaire et le chameau.

Vingt ou cinquante débouchaient sur une ou deux bosses, voire une bosse et demie, un entre-deux toujours mal maitrisé et fort incompréhensible. Après négociations dont les termes nous échappaient partiellement le couteau tranchait dans le vif du sujet et nous partions un brin troublé par cet océan d’inconnu(e)s si mal digéré(e)s. Il est vrai que la mie de pain est bourrative, et c’est bien connu, même des moineaux. A l’inverse de l’amie bienvenue et suffisamment retenue…

Bienvenue en ce monde, ne disait pas encore la pub mensongère et polluante mais déjà jacassante… mais l’on soupçonnait déjà la supercherie à venir.

Au moins avec les caramels, ces quanta minimum d’action pré-pesés et découpés, quantifiés par avance, le paquet d’ondes prédéterminé, emballé et pesé avec sa portion de rayonnements à l’intervalle composite se laissaient plus aimablement compter et dompter avec l’aide discrète et bien venue mais velue de dame caraok aux milles carats; Elle, la fée magique qui suppléait si amplement aux carences non de sucre mais de savoir et de courage. Et la réduction du paquet allait bon train dans cette province aimable. Les moineaux sont ainsi facilement volatils... autant que le sont les caramels.

Aussi fallait-il bosser fort et forcer pour ne pas dépasser la dose prescrite indirectement des vingt ou des cinquante... mais bon, l’école était là pour nous apprendre la procédure. 

   Il faut dire que pour le minot caméléon que j’étais l'achat de ces friandises notoires représentait un exploit digne de toutes les conquêtes anapurnagrotesques possibles sur cette planète abracadabrantesque dont nous pressentions hautement le manque systématique de places accessibles aux infras.

Merci dame Caramel pour ces opportunités offertes de mains galantes et généreuses, et surtout exactes. Les dames aimables savent y faire, et bien. Mais nous ne le savions pas…

Cependant derrière dame caramel sévissait dame maman qui, je le soupçonne fort à présent s’enquerrait discrètement du devenir des vingt ou cinquante jetons donnés au rejeton farceur… et toujours bien farci. Mais ne serait-ce que par curiosité, l’enquête est toujours de mise aux îles d’enfance.

Merci à toutes ces fées croisées et décroisées en chemin qui se révélèrent bien tendres mais auxquelles nous rendions si peu, si incomplets dans nos forts intérieurs aux mains parfois pleines mais à la cervelle souvent si vide.

De fait m'avez-vous gentiment appris à compter… jusqu’à cinquante, ma grande Dame. J’aurais bien souhaité passer le diplôme envié des cent mais ce ne fut pas possible pour d’obscures raisons dépassant l’entendement des moineaux à cervelles de meunière et de nos compétences d’alors. Ce qui advint pour le compte et les mécomptes de l’apprentissage de la langue allemande, je ne crois pas que le compte y soit, y fut, y était qui mal y pense, exact. Et une insuffisance gitât-là… définitive. Merci mesdames de vos efforts maternels et aimants, irréductibles mais grandement méconnus par l’époque des caramels trop mous mais surtout trop petits.

Insuffisant ! fut-il affirmé définitivement, en marge de l'aventure.

BAYLOT Michel. Le 9 Mars 2018. Epitaphe : « Ci-git là un manque obstiné de caramels, propre, par défaut de fabrication irréductible. Et pourtant le compte y était ».